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10 mai 2013

La Grammaire est une Chanson douce

Je viens de retrouver ce texte dans mes tiroirs  qui me séduit...

A les mots

Les mots dormaient.

Ils s’étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus.

Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller.

Bêtement, je tendais l’oreille :

j’aurais tant voulu surprendre leurs rêves.

J’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots

. Bien sûr, je n’entendais rien.

Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline.

Et un vent léger.Peut-être seulement l

e souffle de la planète Terre avançant dans la nuit.

Nous approchions d’un bâtiment

qu’éclairait mal une croix rouge tremblotante.

-Voici l’hôpital, murmura Monsieur Henri. Je frissonnais

. L’hôpital ? Un hôpital pour les mots ?

Je n’arrivais pas à y croire. La honte m’envahit.

Quelque chose me disait que, leurs souffrance

s nous en étions, nous les humains, responsables.

Vous savez, comme ces Indiens d’Amérique morts

de maladies apportées par les conquérants européens.

Il n’y a pas d’accueil ni d’infirmiers dans un hôpital de mots ;

Les couloirs étaient vides. Seule nous guidaient

les lueurs bleues des veilleuses.

Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol.

Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre.

Par deux fois. Un gémissement très doux.

Il passait sous l’une des portes

, telle une lettre qu’on glisse discrètement,

pour ne pas déranger. Monsieur Henri me jeta

un bref regard et décida d’entrer.

Elle était là, immobile sur son lit,

la petite phrase bien connue, trop connue :

Je t’aime Trois mots maigres et pâles, si pâles.

Les sept lettres ressortaient à peine

sur la blancheur des draps.

Trois mots reliés chacun par un tuyau

de plastique à un bocal plein de liquide.

Il me sembla qu’elle nous souriait, la petite phrase

Il me sembla qu’elle nous parlait : -Je suis un peu fatiguée.

Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.

-Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais.

Depuis le temps que tu existes. Tu es solide.

Quelques jours de repos et tu seras sur pied.

Il la berça longtemps de tous ces mensonges

qu’on raconte aux malades. Sur le front de Je t’aime,

il posa un gant de toilette humecté d’eau fraîche. -

C’est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie.

« Un peu fatiguée », « un peu dur »,

Je t’aime ne se plaignait qu’à moitié, elle ajoutait des « un peu » à toutes ses phrases. -

Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donné,

reprends des forces, nous avons trop besoin de toi.

Et il chantonna à son oreille le plus câlin de ses refrains

. La petite biche est aux abois

Dans le bois se cache le loup Ouh ouh ouh ouh

Mais le brave chevalier passa

Il prit la biche dans ses bras La la la la

-Viens ma belle, maintenant. Elle dort.

Nous reviendrons demain.

-Pauvre Je t’aime. Parviendront-ils à la sauver ?

Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.

Des larmes me venaient dans la gorge.

Elles n’arrivaient pas à monter jusqu’à mes yeux.

Nous portons en nous des larmes trop lourdes.

Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer. -… Je t’aime.

Tout le monde dit et répète « je t’aime ».

Tu te souviens du marché ?

Il faut faire attention aux mots.

Ne pas les répéter à tout bout de champ ?

Ni les employer à tort et à travers,

les uns pour les autres,

en racontant des mensonges.

Autrement, les mots s’usent.

Et parfois, il est trop tard pour les sauver.

Tu veux rendre visite à d’autres malades ?

Il me regarda.

-Tu ne vas pas t’évanouir, quand même ?

Il me prit le bras et nous quittâmes l’hôpital.

Erik Orsenna - La grammaire est une chanson douce

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